Marc Levy
Lorsque l’élan de justice s’égare dans les labyrinthes d’un système politico-judiciaire hostile, il ne reste qu’une arme invincible : l’espérance.
Agatha, condamnée à trente-cinq ans de prison, parvient à s’évader de sa cellule dans un établissement pénitentiaire de l’État de New York, à seulement cinq ans de sa libération. En fuite, elle nourrit le désir de renouer avec des pans entiers de son passé tourmenté. Sa première démarche la conduit vers Milly, la fille de sa sœur défunte, à qui elle demande de l’accompagner jusqu’à Santa Fe, la ville de son enfance. Au fil du trajet, Agatha se confie peu à peu à sa nièce : elle lui raconte son histoire, les circonstances de son incarcération et les raisons profondes de son combat. Car l’histoire d’Agatha est celle d’une jeune femme condamnée à tort pour son engagement parfois maladroit, mais sincère contre la ségrégation et les inégalités qui marquaient l’Amérique des années 1970. À Milly, elle évoque ses amis, ses amours de jeunesse, les raisons et conditions de son arrestation, son procès et ses longues années derrière les barreaux.
Marc Levy, fidèle à lui-même, propose à travers un récit clair, fluide et profondément exquis une réflexion sur des problématiques qui ont gangrené l’Amérique d’après-guerre, notamment dans les années 1960, mais qui restent tristement actuelles.
Agatha, héroïne du roman, est arrêtée et condamnée pour avoir participé à des mouvements pacifiques contre le racisme, les violences policières et les guerres d’ingérence américaine dans des pays étrangers. Au fil du récit, apparaît également Quint, une ancienne connaissance d’Agatha, qui lui raconte les sévices subis en prison uniquement parce qu’il était noir. Un passage particulièrement marquant, évoqué à la page 230, rapporte : « Les surveillants pénitentiaires ordonnaient à un Cubain de jeter un seau d’excréments dans la cellule d’un nègre, en lui disant que c’était de la part de Malcolm X. »
À travers ce témoignage non isolé, l’auteur met en lumière l’une des plaies les plus profondes de la société américaine : le racisme. Une tare qui, loin de s’être éteinte avec les luttes des années 1960 et 1970, continue d’ébranler la société contemporaine. Cette dénonciation interpelle d’autant plus que les États-Unis sont censés être la plus grande démocratie du monde occidental. C’est une situation qui est totalement en contradiction avec les vieilles traditions de liberté et de justice qui sont le fondement même de l'Amérique. Il faut toutefois signifier que le racisme n’est pas l’apanage des seuls Américains, c’est un fléau mondial qu’il faille combattre avec davantage d’ardeur. En ce sens, Marc Levy délivre un message à portée globale, rappelant la dignité inaliénable à laquelle tout être humain a droit, indépendamment de sa couleur de peau. Comme il l’écrit plus loin, à la page 331 : « Si tu vois un homme se faire malmener parce que sa peau est d’une autre couleur que la tienne, deviens caméléon. » Un message symbolique fort qui invite à transcender les barrières raciales pour se reconnaître d’abord comme êtres humains.
Dans le prolongement de cette idée, le roman aborde également la question des violences policières, un autre problème majeur aux États-Unis. L’arrestation et l’incarcération d’Agatha découlent d’un affrontement violent qui, selon le récit, fait suite au massacre des étudiants noirs, massacre que les autorités ont tenté de justifier par la légitime défense alors même que ceux-ci étaient endormis. L’auteur utilise cet épisode pour interroger les consciences sur la persistance de ce mal. Les événements récents, notamment la mort violente de George Floyd dans le Minnesota, rappellent que ce fléau ne date pas seulement des années 1970, mais s’inscrit dans une continuité douloureuse.
Toutefois, il y a lieu de souligner que le combat contre la violence ne doit pas être un combat à sens unique. Le récit rapporte que des manifestants, en réaction au massacre des étudiants noirs par la police, ont incendié un commissariat suscitant ainsi la mort d’une personne non identifiée. Une question fondamentale émerge alors : est-il légitime de répondre à la violence policière par la violence civile ? Cela interroge directement les moyens de lutte et de contestation à la disposition des civils face au pouvoir d’État. Il paraît évident que la violence ne doit pas être la réponse à la violence. Ceux qui réclament la justice se doivent d’utiliser les voies pacifiques car le meilleur moyen de se venger du bourreau c’est justement de ne pas lui ressembler.
Aussi, le roman met en lumière le système judiciaire américain, en particulier ses compromissions qui peuvent s’avérer néfastes. Agatha, qui accepte par compromis une peine de cinq ans, voit sa condamnation prolongée de trente années supplémentaires. Le procureur, parfaitement conscient de son innocence, la fait néanmoins condamner. Pourquoi ? Parce que dans ce système, la carrière des magistrats se construit souvent sur le nombre de condamnations obtenues. Ainsi, l’intérêt du procureur n’est pas toujours la justice, mais l’avancement personnel. L’auteur révèle ici un problème structurel : quand les procureurs poursuivent pour enrichir leur palmarès, ils ouvrent la porte aux abus les plus graves, dont celui de condamner un innocent pour le prestige d’une carrière.
Loin d’être seulement le récit des murs froids d’une prison, ce roman s’élève comme un chant d’espérance. Pour Agatha, il devient la promesse d’un recommencement. Elle qui avait vu trente années de sa vie s’étioler derrière les barreaux, elle qui croyait avoir tout perdu, retrouve Tom, l’amour de sa jeunesse, et ose franchir le seuil d’une existence nouvelle, portée par la tendresse retrouvée.
C’est là le message ultime du livre : il n’est jamais trop tard pour renaître. L’âge, les épreuves, les cicatrices du passé ne sauraient condamner une vie au désespoir. Aucune chute, aussi brutale soit-elle, ne doit faire croire à quiconque qu’il est inutile ou indésirable dans le monde. Car tant qu’il reste un souffle, il demeure toujours une voie, une promesse, une autre idée du bonheur.
👉 Je vous laisse découvrir ce roman par vous-même : l’histoire d’Agatha pourrait bien résonner en vous plus que vous ne l’imaginez. Un livre à lire, à partager, et à méditer.

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Commentaires
Très intérressante cette histoire, on y retrouve tout un mirroir de réalité👌
Très belle et brève analyse. Cerise sur le gâteau, les dernières paroles sont d'une profondeur et d'une sensibilité exceptionnelles. Entre incarcérations, racisme , violences policières, inégalités sociales, rien de mieux qu’une belle chute d’un amour retrouvé.
Merci cher ami de nous avoir partagé ton expérience de lecture.